220 PAGES, ISBN : 978-2-8103-0366-3, en couleur, reliure cartonnée
Premier du genre, ce dictionnaire se veut un inventaire des terres imaginaires et des créatures chimériques qui le peuplent. « Le Monde Perdu, la terre de Maple White est en chacun de nous. Nous y lisons nos peurs enfantines et nos crépuscules mythiques » (J. Meunier).
Maître de conférence à l'Université de Nantes, spécialisé en littérature et civilisation américaines, Lauric Guillaud est titulaire d'un doctorat de troisième cycle sur Arthur Conan Doyle et d'un doctorat d'État sur le thème des mondes perdus. Passionné de fantastique, de science-fiction et d'étrange, il a enseigné aux États-Unis, à l'Université de Washington et y a fondé la revue Paradoxa. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages.
RECENSION : Rémi BOYER :
Très attendu, voici enfin le Dictionnaire du Monde Perdu de Lauric Guillaud dans une très belle édition en couleur, couverture rigide.
Nos rêves et aussi nos cauchemars puisent, souvent à notre insu, dans les mondes imaginaires, peuplés de créatures parfois étranges, nés il y a des siècles (déjà Platon avec l’Atlantide), mais qui s’épanouirent surtout dans la culture anglo-saxonne à partir du XIXe siècle jusqu’aux années 1930, grâce aux romans, aux fanzines et bien sûr au cinéma. Lauric Guillaud explore ce thème depuis ses années d’études universitaires, son travail, passionnant, est rigoureux, précis et particulièrement étayé. Il couvre la période allant de 1864, date de parution de Voyage au Centre de la Terre de Jules Verne, aux années 30, marquées par le célèbre film King-Kong, Les Montagnes Hallucinées de Lovecraft ou encore la naissance chez R. E. Howard, du héros Conan, toujours bien vivant.
« Même si quelques romanciers, écrit Lauric Guillaud, se sont efforcés, dans les années 40 et 50, de freiner le déclin des mondes perdus, il n’en demeure pas moins que les années 1930 sonnent le glas d’un genre littéraire qui voyait les héros de la civilisation moderne fouler aux pieds les vestiges anachroniques d’un peuple survivant selon les lois mystérieuses de quelque ordre primitif, vénérant des dieux ou des dragons d’un autre âge. Alors que les années 30 sonnent également le glas d’une humanité qui ne croit pas au risque de guerre, elles suscitent dans le même temps un revirement de notre thème qui voit les forces souterraines et obscures déferler vers la surface et menacer notre rationalité. Etrangement, dans leur solitude, Howard, Smith et Lovecraft façonnent des créatures des ténèbres ou des divinités païennes issues de plus anciennes mythologies, au moment même où l’Allemagne verse dans le totalitarisme. »
Nos imaginaires en disent parfois beaucoup plus sur ce que nous sommes, nos peurs et nos aspirations, que les discours rationnels. Plus près de ce début de millénaire angoissant, Dune ou Mad Max, paraissent traiter de futurs de plus en plus vraisemblables. Le prochain monde perdu pourrait bien être le nôtre. Nous avons beaucoup à apprendre de ces genres qui révèlent ou explorent nos zones d’ombre. L’altérité est ainsi l’un des fils conducteurs du genre, peur de l’autre et désir de l’autre.
Lauric Guillaud distingue quatre catégories dans les romans du monde perdu : le thème de la « Terre creuse », des mondes souterrains – le thème de la « race perdue » – le thème du « continent perdu » – « la survivance de type préhistorique » désignée comme « monde perdu » en référence au livre d’Arthur Conan Doyle, publié en 1912, qui porte ce titre. Notons que la recherche sur ce domaine littéraire, qui pénétra le cinéma, est récente, elle date des années 1990.
« Je ne chercherai pas ici, indique Lauric Guillaud, à répertorier les mondes perdus de manière exhaustive, mais à privilégier le thème de la survivance préhistorique auquel le chef d’œuvre de Conan Doyle a donné ses lettres de noblesse. Ce petit dictionnaire s’adresse aussi bien aux adultes qui ont découvert Conan Doyle dans leurs années d’apprentissage qu’aux plus jeunes – ceux qui se sont familiarisés à l’aventure par le biais du cinéma, de la BD et des jeux vidéo. Il tente simplement de démontrer la pérennité d’un véritable mythe qui continue de fasciner lecteurs et spectateurs et participer au grand réenchantement du monde. »
Loin d’être un catalogue, ce dictionnaire est un véritable essai. La forme du dictionnaire permet de structurer en une pensée le grand nombre des sujets abordés. Il est organisé en deux grandes parties, la première consacrée aux noms communs (arbres – cryptozoologie – écrits fondateurs – forêt – génocide – initiation…), la seconde aux noms propres (Burroughs E.R. – Haggard H.R. – London J. – Jurassik Park – Tarzan…). La nostalgie sera au rendez-vous pour nombre de lecteurs mais elle sera vite dissipée par les découvertes tant ce Dictionnaire du Monde Perdu est aussi un dictionnaire de l’inattendu.
Recension de Yonnel Ghernaouti : https://450.fm/2025/09/16/monde-perdu-lumiere-retrouvee-labecedaire-initiatique-de-lauric-guillaud/
Nous ouvrons ce livre comme nous pousserions une porte lourde et sculptée, avec la sensation d’entrer dans un cabinet de curiosités où les vitrines sont des alphabets et les cartes des songes. Lauric Guillaud a choisi la forme du dictionnaire, pourtant son abécédaire ne dresse pas une collection immobile.
Chaque entrée palpite, chaque toponyme imaginaire respire, chaque créature chimérique garde le souffle discret des légendes qui refusent de s’éteindre. Nous avançons de A jusqu’à Z comme nous traverserions une forêt d’emblèmes, et nous reconnaissons très vite que ce monde perdu relève moins du folklore exotique que d’une géographie intérieure. Le territoire que nous parcourons ne se situe pas seulement sur des plateaux amazoniens ou dans des îles qu’une Atlantide oublieuse aurait laissées derrière elle. Il s’enracine dans la nuit fertile où se recueillent nos peurs, nos élans, nos récits de fondation. Ce beau livre relié, à la tenue solide et à l’iconographie généreuse, nous rappelle que toute image se lit comme un signe et que tout signe ouvre une porte.
La genèse du mythe se déploie avec la lenteur majestueuse des ères géologiques. Au dix-neuvième siècle, Richard Owen forge le mot dinosaure et nous oblige à étirer notre temps intérieur. Georges Cuvier fait parler les couches du sol, et la paléontologie devient un art d’exhumation qui ressuscite des mondes ensevelis. Les reconstitutions savantes fascinant alors les foules installent dans les esprits une scène nouvelle où se rassemblent squelettes, empreintes, silhouettes d’animaux disparus. La notion de fossile vivant dérange la flèche rassurante du progrès et donne aux marges de la carte l’éclat d’un possible. Des récits jalonnent cette montée. Cutcliffe Hyne C. J. (1866 – 1944) propose sa nouvelle The Lizard à la fin du siècle. Sir Arthur Conan Doyle (1859 – 1930) esquisse une trouée avec The Terror of Blue John Gap et confie qu’une nuit de croisière en Grèce il crut voir surgir un plésiosaure. L’explorateur Percy Fawcett (1867 – 1925), colonel de son état, cherche un isolat primordial sur le mont Roraima et sur les mesas du Venezuela, comme si la géologie elle-même protégeait un plateau suspendu à l’abri des saccages du temps. La science et le roman s’approchent l’un de l’autre et se tendent la main par-dessus le gouffre des certitudes trop étroites. Le mythe trouve alors son lit et s’y installe avec une vigueur qui ne se dément plus.
Parce qu’il s’agit d’un dictionnaire, nous laissons l’abécédaire guider nos pas. Les noms communs d’abord deviennent des pierres d’attente. Dinosaure. Paléontologie. Fossile vivant. Plésiosaure. Mesa. Cryptozoologie telle que la redonnera plus tard le docteur Bernard Heuvelmans (1916 – 2001) avec un doute méthodique qui n’est pas crédule mais attentif. Atlantide comme horizon de mémoire blessée. Les noms propres ensuite forment la constellation des passeurs. Henry Rider Haggard (1856 – 1925)et Edgar Rice Burroughs nourrissent le rêve d’empires intérieurs. Joseph Henri Rosny Aîné (1856 – 1940) ouvre des galeries préhistoriques où palpite une éthique de la survie. Jules Verne porte la lampe sous la voûte terrestre. Steven Spielberg rend à la stupeur une chair contemporaine. Georges Cuvier et Richard Owen installent les cadres du regard. Bernard Heuvelmans demande un surcroît d’enquête. Nous voyons naître une lignée. Nous comprenons que le thème du monde perdu assemble savants, romanciers, cinéastes et voyageurs de l’âme autour d’un même chantier.
Au centre de cette constellation nous consacrons notre regard à Arthur Conan Doyle. Médecin formé au regard exact, voyageur des confins durant la guerre des Boers, écrivain que nous suivons de Baker Street aux plateaux oubliés, il avance avec deux lampes tenues ensemble. L’une éclaire le patient de chair et d’os. L’autre éclaire le patient de l’esprit, car Arthur Conan Doyle fréquente la Société métapsychique et s’engage en Franc-Maçonnerie. Ce double apprentissage façonne le professeur Challenger, figure haute en couleur qui ne craint ni l’hypothèse ni la vérification. Lorsque paraît The Lost World, l’Amazonie se change en salle d’initiation à ciel ouvert. Un isolat perché au sommet d’un monde, protégé par des falaises comme par un secret, héberge la survivance des règnes anciens. La fiction accueille les découvertes récentes de la paléontologie depuis le baptême des terribles lézards par Richard Owen jusqu’aux reconstitutions qui enflamment l’époque. La notion de fossile vivant dérange la chronologie commune. Arthur Conan Doyle entend ce frémissement et l’honore. Dans Le Monde perdu, la descente vers l’inconnu devient montée en conscience. Le plateau interdit fonctionne comme une chambre des épreuves. Nous apprenons la retenue devant ce qui précède l’homme et qui pourtant continue de nous juger.
Nous accordons une égale attention à Camille Flammarion (1842 – 1925). Savant conteur qui parle au grand public sans appauvrir la pensée, astronome attentif à la poésie des faits, il enseigne que la science moderne réveille les ancêtres de la Terre en fouillant les tombeaux de pierre. La résurrection des tombes déploie une liturgie de la mémoire. Le Monde avant la création de l’homme propose des images puissantes où les ères anciennes se lèvent comme à l’appel. La popularisation chez Camille Flammarion n’est jamais un divertissement. Elle agit comme une pédagogie du regard. Nous apprenons à relier les cycles du ciel et les strates du sol. La dramaturgie des origines et des retours s’éclaire d’une ferveur qui n’abolit pas la rigueur. Nous reconnaissons là une attitude maçonnique. La curiosité s’unit à la modestie. La précision s’unit au désir de comprendre.
Sous la plume de Lauric Guillaud, ces lignes de force se rejoignent. Les dinosaures surgis au dix-neuvième siècle déplacent les horizons de l’histoire naturelle et installent une temporalité vertigineuse. L’archétype du savant explorateur devient un compagnon de quête. Arthur Conan Doyle érige le professeur Challenger en hiérophante d’un monde resté en marge du temps. Henry Rider Haggard, Edgar Allan Poe, Edgar Rice Burroughs et Joseph Henri Rosny Aîné nous escortent. Jules Verne fait circuler la lampe sous la voûte de la terre. Steven Spielberg redonne à la stupeur un corps et une voix. Bernard Heuvelmans rend à des figures indécises leur droit au doute. L’inventaire s’élargit sans se disperser, car l’architecture d’ensemble demeure lisible. Chaque motif retrouve sa généalogie. Chaque fil se rattache à un métier plus ancien. Nous voyons la trame.
La lecture se fait marche initiatique. Les mondes perdus ne sont pas des réserves d’archaïsme où nous viendrions célébrer une nostalgie. Ils composent une chambre des épreuves où nous apprenons à peser le poids de la merveille et le prix du discernement. Le seuil se reconnaît à ses gardiens. Reptile gigantesque ou peuple oublié. Ce que nous appelons prodige, le Rite y voit l’allégorie d’une lumière conquise. L’ésotériste y décèle la grammaire d’une métamorphose lente.
Dans les notices de Lauric Guillaud, la précision érudite n’éteint pas la braise symbolique. Nous passons d’une date à une figure, d’un roman à une fouille, d’un film à un rite de passage. Les terres imaginaires ne sont pas des décors. Elles deviennent des tableaux opératifs. Le compas n’y mesure pas seulement des distances sur une carte. Il mesure l’écart entre ce que nous croyons connaître et ce que nous sommes prêts à reconnaître. L’équerre n’y juge pas seulement l’angle d’un rocher. Elle juge l’angle d’une conscience.
Lauric Guillaud – BabelioIl convient de saluer l’auteur. Lauric Guillaud, professeur émérite à l’Université d’Angers, explore depuis des décennies les littératures de l’imaginaire et les régimes symboliques qui les portent. Chercheur et passeur, il relie l’érudition la plus précise à une intuition des mythes qui éclaire Howard Phillips Lovecraft autant qu’Edgar Allan Poe ou Nathaniel Hawthorne. Son œuvre trace un chemin où Le sacre du noir fait dialoguer imaginaire gothique et imaginaire maçonnique, où Lovecraft une approche généalogique de l’horreur au sacré expose l’arrière-plan du fantastique moderne, où Mystères d’hier et d’aujourd’hui rassemble des regards croisés sur les énigmes persistantes, où Imaginaires prophétiques et barbares s’aventure dans les soubassements d’une dérive européenne. Cette trajectoire a reçu une reconnaissance éloquente. Lauric Guillaud a été distingué par le Prix littéraires de l’Institut Maçonnique de France en 2019 dans la catégorie « Essais » pour Le sacre du noir, ouvrage paru déjà aux Éditions du Cosmogone. Cette distinction confirme une autorité de lecteur des symboles et une fidélité à l’esprit de transmission qui se manifeste dans les conférences, les directions de recherches et l’accompagnement patient des jeunes lecteurs de signes.
Ce Dictionnaire du monde perdu poursuit et accomplit ce patient travail. Il ne se contente pas d’indexer des terres imaginaires et des espèces improbables. Il réunit des lignes de force. Il fait sentir le poids d’un héritage qui traverse les disciplines. Il montre comment le roman d’exploration se transforme en atelier d’idées, comment la science prête à l’étrangeté un surcroît de crédibilité, comment le cinéma saisit l’âme contemporaine par la voie de la stupeur, comment la bande dessinée et le jeu vidéo prolongent la disponibilité au merveilleux. Le lecteur y trouve un miroir fraternel. Il reconnaît la dialectique de la chute et de la remontée. Il reconnaît la valeur des seuils. Il reconnaît la nécessité des gardiens. Nous savons alors que le monde perdu auquel nous rêvons n’est pas un décor ancien. Il devient une fabrique de symboles où se vérifie la qualité de notre regard.
Nous refermons l’ouvrage avec gratitude. Les entrées continuent de résonner comme des loges accolées autour d’un même chantier. Nous avons parcouru des continents imaginaires et c’est notre latitude intérieure qui a changé. Ce beau livre relié a l’assise d’un compagnon éprouvé. Il nous fait voyager sans dissiper l’énigme. Il nous instruit sans dessécher la surprise. Il nous met en présence d’une tradition qui se renouvelle au contact des formes et qui sait que la carte la plus précieuse ne figure pas les routes mais la manière de marcher.